"LA GARCE! LA CATIN!"
Vincenzo s'égosillait à piétiner la missive qu'il venait de déchirer par petits bouts. Tel zébulon, il sautillait sur place, tournicoti tournicoton, la bave aux lèvres, écumant de rage.
"Tout ça pour ça! Et les trois quarts de notre financement qui s'envolent! RAAAAAAAAAAAA! MILLE SABORDS!"
Même Carlos n'osait point s'approcher de son supérieur, et préféra rester dans la coursive. Dans ces moments là, mieux valais éviter la confrontation avec son caractère volcanique. Ses accès de colère légendaires tournaient parfois en marre de sang. Le colosse n'avait beau être qu'un grand béta, il ne le savait que trop bien.
Doria retourna son burlingue, hurla de plus belle, fracassa son fauteuil dessus, renversa sa bibliothèque, brisa une glace, et finit essoufflé appuyé contre un mur, après l'avoir martelé une dernière fois...
C'est qu'il s'y était attaché plus qu'il ne pensait à cette donzelle. Respirant un grand coup, il finit par sortir une vieille bouteille de rhum de son coffre, et trinqua avec son ombre, directement au goulot:
"Toutes les mêmes! A la traitresse!"
Prenant son temps pour redescendre, il finit par se refagoter le mieux possible, et héla son garde du corps.
"Carlos, sois gentil, nettoie moi ce bordel. Merci."
Coiffant son plus beau galurin à plumes, il se rendit sur le pont, et contempla pour la première fois les débuts de son œuvre....
Le site avait été choisit avec soin. Situé au milieu d'une myriade d'ilots, il était relativement caché pour qui passerait au large.
Sur place, une crique permettait au navire un mouillage en toute sécurité. La présence de New Providence non loin à l'ouest....alias Nassau, et d'Eleuthera, ville franche au sud est, leur permettrait d'envisager receler leurs futures productions, de se ravitailler facilement, et surtout de faire venir de nombreux migrants en peu de temps.
Un rapide coup d’œil dans sa longue vue confirma ce que Doria espérait. Nombreux étaient déjà les indigènes, marrons, boucaniers, esclaves en fuite, exilés de tout poil, à y bâtir une vie meilleure.
Certes les coffres du capitaine avaient beaucoup baissé dans cette affaire, mais pour la première fois depuis un bail, il s'émeut à la vue de tout ce petit peuple s'activant sous le soleil du matin.
La pinque qu'il avait prise et ramené pour s’échouer sur la grève avait été totalement désossée par la populace. Les ouvriers improvisés en avaient fait un ponton, et plusieurs cabanes, dont la plupart n'étaient pas encore terminées.
Tout autour de ce qui devrait être le village, une tranchée de 2 mètres était également creusée, mais il manquait encore la palissade pour se défendre le cas échéant.
Le chantier ne faisait que commencer. Souriant, le pirate en oublia momentanément la traitrise de Betje, et descendit sur le pont parmi ses hommes pressés tout comme lui de faire escale sur l'ile.