Ambiance enfumée et avinée, à la Taverne de Bob le borgne ; et dans la salle trois hommes boivent à n’en plus soif, non du Whom, mais les paroles du « vieux » Gaston Carcharias. D’une voix grave et profonde, il les transporte plusieurs années en arrière.- Mokarran ? Ah, Mokarran… Je l'ai recueilli sur un radeau… étendu à côté d'un homme étrange, aux yeux bridés. Ce jeune inconnu… si jeune, si pâle… sa vie… ne tenait… qu’à un souffle...
Ô vie, reprends ton souffle.
- Après plusieurs jours entre la vie et la mort seul son nom il prononça : Mokarran
- Puis les mois ont passé à caboter dans les Caraïbes. Sans jamais parler, il s'affairait au pont, à la voilure, en cuisine jusqu'au jour où... au petit matin notre pinasse fut attaquée par une bande de flibustiers.
- Le combat faisait rage quand il a surgit, comme porté par le vent.
- Impalpable, léger, telle une brise, c’est alors qu’il entama ... sa danse !
- Légère et fulgurante. Des courbes, des arabesques… Et que gicle le sang ! que volent les têtes ! Ô danse, si spectrale, si effroyable…
- Clameurs et braillements se turent. L’aube se teinta de rouge...
- Seule claque la voilure. Puis plus rien ne bouge…
Ô vent, retiens ton souffle.
Le silence se fit aussi à la table. Les quatre hommes burent une lampée, lentement, leur regard perdu dans la taverne. Puis d’une voix plus enjouée le vieux conteur reprit :- Depuis, les hommes le surnommèrent "Danse la Mort".
Puis il continua en rigolant doucement :
- Mais… mais ils chuchotent. Oh oui ! ils chuchotent… et surtout prennent garde à ce qu'il ne puisse pas les entendre... de peur qu'il les invite à une gigue infernale !
- Puis voilà, un jour à Cumanà j'ai su qu'il venait de trouver son destin, ou sa voie comme il disait. Je lui ai alors donné un nom, "Cuvier", pour qu’il soit présentable. Cela sembla avoir une grande importance pour lui, mais j'eus un goût bizarre d'inachevé...
- Il a souri, c’était rare. Puis il m'a donné l'accolade et m'a dit "merci, youfu".
- Allez savoir pourquoi mais une larme m'est venue… à moi… Gaston ?
- "Allez VA maintenant. Je serai toujours là pour toi. ». Et tandis qu’il s’éloignait et qu’il ne pouvait plus m’entendre, c’est vrai ce que l’on vous a dit, que j’ai ajouté… « mon fils… ».
Puis le conteur se tu. Il prit le pichet de rhum, et le leva à la santé d’une convive imaginaire qui semblait se tenir devant lui. Il le vida presque complètement, le reposa, fit un signe courtois aux trois hommes à sa table, et quitta la taverne.Ainsi commence l'histoire de
Mokarran Cuvier, de
Petru Orsu, bosco inégalable et canonnier hors pair, et de
Shîr Muhammad - médecin et pilote - Sentinelle des mers et de leur navire :
Le Vent des Dieux.
Sujet: Mokarran Cuvier 
Ven 24 Oct 2014 - 9:19
