Caraïbes 1712 - le forum

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 Fortune de mer.

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Bertrick
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MessageSujet: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeMar 22 Mai 2012 - 10:08

Ondine la petite barque longue de 40 tonneaux était accolée aux gros pilotis du quai en bois. Bertrick dirigeait les opérations de déchargement de la cale. Oh, pas de quoi faire de bénéfices juteux ! Il n’avait ni les moyens d’acheter de quoi emplir la cale, ni de quoi acheter des marchandises de valeur.
Une fois guinder le palan en bout de grand-vergue, les quelques ballots de marchandises purent être déchargés.

Après avoir perdu son chebec dans un combat contre un vaisseau de 50 et une corvette, Il avait tout investi dans l’achat de ce navire et de quelques « pétoires» de 3 livres.
Au cours des quelques petits voyages qu’il avait effectué depuis qu’il en était réduit à faire du commerce interlope, il n’avait pas rencontré de navires à sa mesure pour tenter de s’en emparer – car il restait forban - ni croisé de navires devant lesquels il aurait dû fuir. La mer dans ce secteur était désespérément vide.
Mais bon ! Bertrick prenait ce revers de fortune avec le sourire.

Les ballots et futailles furent déposés sur un lourd charroi mis à disposition par le négociant local. Bertrick le suivit jusqu’aux entrepôts. Là, il choisit les marchandises qu’il pouvait se permettre d’acquérir et l’affaire conclue, il retourna à son bord. Devant l’écritoire fixé à une paroi de sa cabine, il fit ses compte. Ce voyage lui rapportait … Deux cents vingt quatre piastres !
Misère ! S’il ne faisait pas rapidement quelque prise, l’achat d’un navire plus adapté à sa « qualité » de forban ne serait pas envisageable de si tôt.
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeSam 30 Juin 2012 - 13:13

Bertrick s’éveilla. Un changement dans la marche du navire venait de le tirer de son sommeil. Il quitta son bas flanc, enfila ses chausses puis ses bottes et sa tunique. Il quitta sa cabine en saisissant au passage son tricorne dont il se coiffa en gravissant l’escalier menant sur le gaillard.
Le quartier maître à la barre, un nommé Le Fort, vit apparaître le capitaine par le panneau d’écoutille.

- Bonjour capitaine.

Bertrick ne répondit pas. Il dirigea son regard vers les hauteurs pour vérifier le réglage des voiles. Il tourna la tête pour sentir sur ses joues la direction et la force du vent. Il cracha ensuite par dessus la lisse sous le vent pour évaluer la vitesse.

- Tu ne vois donc pas que le hunier commence à faseyer ? Rend un peu la barre.
- Le vent vient juste de refuser capitaine. Je m’apprêtais à corriger.
- Holà le monde ! A choquer d’une demie brasse l’écoute de hunier et raidir d’au moins autant sa bouline !


Le soleil n’était pas encore monté au dessus de l’horizon. Le ciel avait cependant déjà cette teinte rose violacée qui annonçait que l’astre ne tarderait plus à darder ses rayons sur le cercle de mer entourant le dogre.

- Le Fort, je monte dans la hune. Qui est la vigie ?
- C’est Miguel… Je veux dire Escobar, capitaine.

Ting ting … Ting ting.
Les deux doubles coups de cloche du quart du matin permirent à Bertrick de n’avoir pas à répondre. Il grimpa aux enfléchures du grand mât et emprunta le trou du chat de la hune.
Deux hommes étaient assis là . Escobar, qui cacha prestement les dés sous son bonnet quand la tête du capitaine émergea par l’ouverture, et Vlaminck, un jeune gabier.
La ire du capitaine explosa.

- Bougres de chancres mous syphilitiques à poils bleus !
- Toi Escobar ! N’es-tu pas assez ancien marin pour savoir que c’est au point du jour que tu dois être le plus aux aguets quand tu occupes ce poste ? N’as-tu pas appris que la nuit deux navires peuvent se retrouver tout près l’un de l’autre sans s’être vu et qu’au matin le plus vigilant des deux peut fuir où fondre sur la proie ?


Miguel Escobar déglutit.

- Si Capitan !

Bertrick passant du coq à l’âne demanda d’un ton doucereux.

- Qui a gagné au dés ?

Surpris par cette saute d’humeur, Vlaminck répondit sans réfléchir.

- C’est Escobar capitaine ! Même qu’il m’a gagné dix piastres !

Le capitaine reprit son ton courroucé.

- Alors Escobar tu assureras aussi le prochain quart à ce poste. De plus, je retiendrai vingt piastres sur ta part plus les dix que tu as gagné ici. Quand à toi Vlaminck, va donc nettoyer les poulaines. On dit que mettre les mains dans la merde porte chance et tu sembles en avoir besoin.

Sur ce, le capitaine déploya sa longue vue et fit un lent et scrupuleux tour d’horizon. Mais rien ! le dogre était seul sur cet espace de mer.
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeSam 30 Juin 2012 - 13:20

Dans la matinée, le vent tourna Nord-Ouest et le dogre dut remonter le lit du vent « au près serré » sous brigantine et foc.
- Voile ! Voile par le travers du gaillard avant !

Au cri de la vigie, le capitaine la rejoignit rapidement dans la hune.
- Où ça ?

- Là capitaine, à tribord avant » répondit la vigie en pointant le doigt dans cette direction.

A quatre lieues dans le Nord-Est, une tache blanche était visible sur l’horizon. Bertrick déploya sa lunette, la cala contre le mât, fit la mise au point. Après une longue observation, il la replia dans un claquement et descendit sur le gaillard arrière.
Tout l’équipage était au pied du gaillard, accouru dès le cri d’alarme.

- C’est un bâtiment de commerce, une barque longue messieurs. Son pavillon n’est pas visible. Elle court plus vite que nous et qui plus est, nous sommes à son vent. Si ses intentions sont belliqueuses, nous ne pourrons l’éviter. Mettons nous en ordre pour combattre le cas échéant. Le Fort, distribuez l’armement et faîtes mettre en batterie nos canons.

Les deux navires couraient à la rencontre l’un de l’autre, la barque longue inconnue, au vent arrière, avec une jolie vague d’étrave. Dans la matinée, la distance les séparant se réduisit beaucoup et Bertrick put l’observer du gaillard. Une saute de vent lui permit de voir le pavillon : un pirate de la confrérie « Hermanos de la Costa ».
Quel comportement adopter ?
Bertrick avait déjà eut maille à partir avec cette confrérie mais il avait aussi naviguer de conserve avec l’une de ses capitaines. Alors ? Devait-il considérer ce navire comme un ennemi où pas ?
Il ne modifia pas le cap.

Mal lui en pris !
Arrivée à portée, la barque longue manœuvra et tira une bordée à mitraille. Les dégât furent épouvantables et deux autres bordées taillèrent encore les hommes en pièces. Quand l’équipage de la barque longue se lança à l’abordage, il n’y avait quasiment plus de défenseur sur le dogre.

Le canot de ce dernier était en remorque pour que le soleil ne disjoigne pas le bordage. Bertrick et un seul rescapé, ne purent que se jeter à l’eau pour rejoindre l’embarcation. Ils se hissèrent à bord et le capitaine trancha le filin d’un coup de sabre. En s’éloignant, Bertrick se leva du banc de nage, brandit son point en direction de l’infâme.

- Fils de truie engrossée par la semence d’un crapaud ! Je te retrouverai Foi du capitaine Bertrick !
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeVen 6 Juil 2012 - 13:29

Nous fûmes donc abordés, pillés et mon navire, le dogre « Espoir » coulé aux atterrages de La Tortue ce fameux repère des gentilshommes de fortune gisant par quatre lieues dans le nord-est. Nous y parvînmes, le rescapé de l’équipage , un jeune gabier nommé Sarmiento, et moi, à bord du petit canot de l’Espoir. Sarmiento souhaita rester à mes côtés. Il me sembla s’être attaché à moi, me considérant en quelque sorte comme un père. L’imbécile ! Quelle idée. Comme si j’eusses l’intention de m’encombrer d’une progéniture. Cependant, il parle et comprend la plupart des langues et dialectes en usages dans cette partie du monde et je le garde pour ce qu’il pourrait m’être grandement utile comme truchement* par la suite.

Nous dérobâmes sur la côte de cette îsle, une chaloupe de pêcheur gréée d’une voile à livarde. Avec mon compagnon d’infortune, nous naviguâmes des jours durant vers l’îsle française de Guadeloupe. Il y a là bas un petit îlot au sud de cette colonie française où j’avais enterré un maigre magot mais dans le dénuement où j’étais à présent, il constituait un trésor fort précieux.

Cornes de bouc!
Un maudit bougre vérolé l’avait certainement découvert, car de trésor ; Que nenni !
Nous fîmes escale à Guadeloupe le temps de nous approvisionner en vivres et en eau puis nous fîmes donc à nouveau voile, cap au Nord.

Nous touchâmes terre dans les derniers jours de juin 1712 sur l’îsle de Saint Thomas, autres repère de la piraterie. Là, je réussi à acquérir auprès du patron du chantier naval - pour une somme vraiment très dérisoire, même pour une bourse aussi plate que la mienne - d’un dogre de cent vingt tonneaux, calant neuf pieds en charge et six à vide. Je me plais à croire que cette bonne fortune est due à ma notoriété …. Et à mon bagou !
Je le baptisai « Glaneur »
Ce nom correspond fort bien à mon souhait ; glaner !
Glaner assez de piastres jusqu’à pouvoir m’offrir un navire convenant mieux à mes aspirations. Il allait me falloir, pour parvenir à mes fins, commercer entre les repaires des forbans..

Nous passâmes les jours qui suivirent à recruter – Je savais bien que son truchement serait utile à mes affaires - un équipage dans les tavernes du port. Trente quatre hommes. Bien plus qu’il n’était besoin pour manœuvrer un dogre mais …..
Je tenais à armer Le Glaneur en « Guerre & Marchandises » comme disent les honnêtes marins. Je voulais que nous puissions résister à une éventuelle attaque, mais ne dédaignerai pas une prise, fut-elle de piètre valeur. Bien que je ne me leurrai pas, avec un tel navire nous serions plus une proie qu’un prédateur. Sait-on jamais, un autre dogre ….

(*) Interprète à cette époque.
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeVen 6 Juil 2012 - 13:33

Le lendemain, dès proton minet, nous courûmes, Sarmiento et moi, d’un négociant à l’autre pour obtenir une cargaison au meilleur prix compte tenu de mon avoir. A l’ évidence, je n’avais point de quoi emplir les cales du « Glaneur » plus qu’à moitié et encore, avec des marchandises sans grandes valeurs.
Dès l’aube du lendemain, quelques charrois s’alignèrent sur le quai le long de notre bord. J’avais fait guinder un palan en bout de grand vergue pour soulever le caillebotis où le filet qui serviraient à charger les lingots de fer, ballots et sacs d’écorce de quinquina, de cacao, de café, de sucre ainsi que les tonnelets de suif, le tout constituant notre cargaison.
Dans la chaleur et la poussière, Les hommes raidissaient, choquaient, les drisses du palan pour descendre les charges dans la cale, d’autres faisaient de même sur les bras de vergue pour amener les marchandises depuis les charrois sur le quai jusqu’au dessus du panneau d’écoutille de la grand-cale.
Toute cette activité ponctuée de grands coups de gueule de ma part, depuis le fond obscur et surchauffé du dogre, pour arrimer les marchandises.
Sarmiento sur le pont hurlait tout pareillement dans toutes les langues d’Europe parlées ici. Je lui avais confié la responsabilité des manœuvres de la vergue et du palan. Son truchement s’avéra là encore fort utile avec les manœuvriers du port, de toutes origines.
En fin de journée, il ne restât plus que les canons de 3 livres à embarquer. Je les fis mettre en batterie sur leurs affûts en avant du grand mât.
Tout fut paré juste avant que la nuit ne tombe. Je donnai quartier libre aux hommes avec ordre d’être de retour à bord avant le lever du jour. J’avais hâte de mettre sous voiles à la faveur de la prochaine marée. Je restai à bord avec trois hommes pour surveiller mon navire et ma cargaison, les deux représentant toute ma fortune.
Je passai la nuit à déterminer notre route où plus justement nos routes possibles. L’une, passait au sud de Porto Rico et était un peu plus longue, l’autre, longeait la côte nord et était plus risquée car passant devant San Juan.

Le lendemain au matin, équipage complet, nous larguâmes nos amarres. Destination Mona. Je m’étais décidé pour la route Sud. Nous quittâmes Saint Thomas par mer calme et léger vent d’Est sous toute la toile, grand largue, tribord amures..
Dans l’après midi, nous dûmes réduire la toile aux approches des falaises de la pointe Est de Porto Rico. Nous laissâmes porter cap Sud-Ouest.

Tout le jour suivant, cap plein ouest. Le vent sans forcir ne cessait de sauter d’une direction à l’autre, aussi dûmes nous faire d’incessants réglages de voilure.
Enfin, nous entrâmes dans le port de Mona. A peine accosté, je couru voir le marchand mais ne lui vendis qu’une partie de la cargaison. L’écorce de quinquina, le café et le suif eussent été vendu sans couvrir mon dépens.

Un matin, Sarmiento me rapporta que, traînant sur le port avant le lever du jour, il avait apprit par des pêcheurs que mon ami le capitaine Aria avait perdu son dogre à la suite d’une attaque par un chebec pirate ! (encore un chancre mou syphilitique qui faisait le lit des gouverneurs et sans doute leurs prodiguaient-il aussi quelques caresses). A croire qu’ils fussent tous payés pour éradiquer notre fier pavillon dans ces eaux !
Au soir, nous quittâmes Mona. Les marchandises que je n’avais pu vendre ici et celles que j’y avais acheté représentaient près de dix milles piastres soit tout ce que je possédais. Si par fortune de mer je perdais mon navire, je me retrouvais sur la paille !
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeMar 10 Juil 2012 - 12:29

Cap Sud avec petite brise d’Est et mer à peine ridée, nous filâmes vent arrière à une vitesse mesurée au loch de trois nœuds et demi, sous hunier, grand voile, bonnettes hautes et basses sur les deux bords.
Au matin du second jour, la vigie créa l’émoi à bord du Glaneur.
- Voile par tribord arrière !
De la hune où je me hissai sans hâte – monter aux hommes mon équanimité - j’identifiai un trois mâts ……. marchand ……. Pavillon Noir !
Il courait sur un cap divergent.

Une ampoulette* plus tard dans la matinée.
- Voile En vue ! Voile par l’avant du travers tribord !
Une frégate lourde, Pirate elle aussi, à quatre lieues Ouest …. Sur notre route ! heureusement, elle suivait le même cap. Nous réduisîmes la toile pour maintenir la distance. Méfiant ! Dans l’éventualité où elle virerait lof pour lof pour nous attaquer . Nous en restâmes à cette situation, elle devant, cap Ouest, nous suivant, quatre lieues en retrait sur le même cap.
- Voile par le travers tribord !
Cette fois, il s’agissait d’une corvette de six Espagnole. A trois lieues !
- Corne de bouc ! Ces eaux sont aussi fréquentées que l’entrecuisse d’une nonne !
- Tiens ! Vous la connaissez aussi capitaine ? Pouffa Sarmiento à mes côtés.
Je lui envoyais une bourrade qui lui coupa le souffle.
- Silence maroufle ! Si les « Dons » là-bas t’entendent, c’est pas la corde mais le bûcher qui nous attend. Suborner une fiancée du Seigneur, pour sûr c’est de l’hérésie !
Nous fuîmes, grand largue, cap au Sud, sous toute la toile que « Le Glaneur » pouvait supporter par ce vent sans briser un espar.
L’ Espagnol vira et nous donna la chasse, nous obligeant à faire du Sud et de l’Ouest. La nuit vint mais son capitaine était du genre pugnace. Au cœur de l’obscurité, des sons de voix des hommes de quart de la corvette – ces Espagnols ne sont, par bonheur, pas très discrets – nous alertèrent de sa présence toute proche. Nous fuîmes à nouveau, toujours plus au Sud .
A la pointe du jour, la corvette des « Dons » était toujours là, à quatre lieues dans le N.W.
- Ah Sarmiento ! Les « Dons courent sus à l’hérétique, c’est sûr !
Toujours plus de Sud !
Elle disparut enfin sous l’horizon à la méridienne (midi). Cette longue chasse nous avait emporté loin de la route que je m’étais tracée. Fort de cela, je passai plusieurs heures dans la grand-chambre pour définir une nouvelle route.
Sarmiento connaissait bien ces eaux. Il suggéra que nous changions d’intentions et que nous allâmes vendre notre cargaison dans un autre port libre. Il en cita quelques uns qu’il me montra sur nos cartes.
L’ hidalgo avait sans doute deviné notre destination. Si il avait de la suite dans les idées, il pourrait aller s’embusquer aux atterrages de la côte et nous y attendre. Changer notre destination pouvait donc s’avérer judicieux. Plusieurs choix s’offraient. Poursuivre loin dans l’Ouest puis, remonter au Nord où virer Sud-Ouest, voir même, descendre plus au Sud encore. Un nouveau cri de la vigie m’interrompit.
- Voile en vue ! Voile par l’avant du travers bâbord !
A nouveau, je montais dans la hune. Cette fois, il s’agissait d’une chaloupe canonnière battant pavillon fleurdelisé.
- Par le vit de Belzébuth ! C’est un bâtiment plus rapide que nous cette fois.
Je rejoignit le gaillard arrière. Nous virâmes cap Nord Ouest et la chaloupe disparue sous l’horizon.
- Voiles en vue ! Deux voiles par l’avant du travers tribord !
Deux forts bâtiments ! Inutile de monter dans la hune, avec ma longue vue ils étaient visibles depuis la dunette. Une frégate de 6 et une frégate deux ponts lourde. Toutes deux arboraient le pavillon des forbans. La grosse frégate était sans doute celle aperçue la veille.
Nous fîmes cependant du N.W. nous approchant d’eux. Je voulais mettre le plus de lieues possibles entre la chaloupe canonnière française et nous et espérais que la vue des frégates Pirates dissuaderait le capitaine français. C’était de ma part un pari assez risqué quant aux desseins des pirates. Se comporteraient-ils en « Gentilshommes » de fortune ? Une proie telle que « Le Glaneur » les tenteraient-ils ?
Jouant d’honnêteté, Je fis hisser plusieurs drissées de pavillons pour leurs signaler la présence de la corvette espagnole et de la chaloupe canonnière française. Aucune réponse ni changement d’attitude de leur part. Ils n’avaient pas compris, où vue, mes signaux. Une hypothétique suspicion leur faisait peut-être craindre quelque piège, où avaient-ils à vaquer à de plus lucratives affaires ?
Le soleil disparu brutalement sous l’horizon comme il est habituel sous ces latitudes.

Au matin, la mer était vide. Le vent s’était établi petite brise de Nord et nous gardâmes notre cap N.W. sous toute notre voilure, tribord amures. Sauf à devoir lofer pour fuir à nouveau, j’avais décidé qu’on se rendît dans un petit port proche – donc assez peu approvisionné, espérai-je - où je pensai pouvoir négocier tout où partie de ma cargaison avec quelques profits.
- Voile en vue !
Cinq lieues au S.E. un grand vaisseau de guerre cap S.W.
La distance ainsi que son cap n’en faisaient pas une menace. Par ailleurs, si ma position estimée se révélait juste, nous devrions jeter l’ancre à la tombée de la nuit et il ne pourrait nous rejoindre avant.
De fait, nous franchîmes la passe dans la semi clarté du jour déclinant. Sarmiento et moi connaissions déjà cette rade mais avec la nuit tombante nous y entrâmes sous foc et avec la brigantine arisée. De plus, un sondeur dans le filet de beaupré criait les fonds après chaque jet du plomb de sonde. Il eut été dommage de s’échouer où de subir des avaries à ce moment du voyage.

* Sablier d’une demie heure.
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeSam 14 Juil 2012 - 11:01

Dès le lendemain, Sarmiento à mes côtés, nous rendîmes visite au marchand local. Hormis les canons de quatre livres qu’il ne voulut pas nous prendre - il ne souhaita pas augmenter son stock pour ce que nous étions dans une petite colonie – il nous acheta tout le reste. Nous réalisâmes quelques profits. Modestes, de par les denrées que nous vendîmes et plus encore de par les quantités dont nous disposâmes.
Nous retournâmes ensuite à bord pour diriger les réparations et autres tâches d’entretien inévitables après ces jours de mer. « Le Glaneur » s’était révélé un bon navire ayant peu de dérive, bon marcheur et facile à gouverner bien qu’ un peu ardent*.

Nous chargeâmes soixante quatre tonneaux de marchandises diverses dont des armes. Entre autres des mousquets français très prisés des boucaniers de par leurs précisions et leurs portées. J’ai promu Sarmiento Bosco ainsi qu’un autre gabier, un nommé Zacharie comme quartier-maître.
Au jour suivant, nous larguâmes les aussières nous retenant aux bollards du quai et nous engageâmes vers la haute mer sous hunier, brigantine carguée et foc bordé plat.
Après nous être dégagé de la côte, nous établîmes notre route plein ouest par vent de travers de S. Au soir, dans les approches de la côte de Jamaïque, une corvette française fut signalée par la vigie. Après que je l’eu longuement observé, j’en déduisis que c’était un navire marchand. je jugeai cependant plus prudent de virer cap N.W. pour ce qu’il pouvait avoir jusqu’à dix canons et un équipage supérieur au nôtre. Ce cap nous dirigeait, d’après nos cartes vers une large zone de récifs située dans le N.E. de Jamaïque. De plus, la nuit tombait, aussi fis-je réduire les voiles et doubler les vigies de hune et en ajoutai une autre sur le beaupré.
Le lendemain matin, petite brise d’E. variant S.E. Nous naviguâmes presque continuellement vent arrière. La côte N. de l’îsle Jamaïque en vue sur bâbord, la côte S. de la Nouvelle Espagne visible sur tribord.
Sarmiento se révéla ingénieux – son rôle nouveau de Bosco, donc ses parts triplées ?- avec un bout-dehors de bonnette basse et une voile civadière, espar pris dans notre drome et voile de réserve, il nous confectionna un petit perroquet volant. Une fois établi au dessus de notre hunier, nous gagnâmes, par brise légère, près d’un nœud. Pourtant, « Le Glaneur » traînait une frange d’algues de plusieurs brasses** accrochée à ses fonds.





* Un navire est dit « ardent » quand il pique du nez. Il a alors tendance à se placer « au vent » (face au vent). On doit donc sans cesse corriger la barre où le réglage des voiles.
A l’inverse, il est dit « mou » quand il a le cul trop enfoncé et a alors tendance à se mettre « sous le vent » (vent arrière). Là encore, nécessite de corriger pour garder un cap.
Les 2 cas entraînent une perte de vitesse.
Quand il est bien dans ses lignes d’eau, on dit
qu’il « est dans son assiette ».
Terme qu’on emploi aujourd’hui sous forme négative - je ne suis pas dans mon assiette - sans savoir que cette expression a une origine maritime.

** Brasse : anglaise 1,80 m – française 1,64 m
C'est la distance prise entre les deux bras étendus.
Ce qui fait dire au capitaine Bertrick,
« Tous pouvons, sans nous baisser, nous gratter les c….
Les Anglais eux, parviennent à se gratter les genoux. »
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MessageSujet: Re: Fortune de mer.   Fortune de mer. Icon_minitimeSam 28 Juil 2012 - 17:25

Lorsque nous doublâmes le cap gisant par bâbord, nous découvrîmes un navire marchand français jusque là masqué par la côte. Le même que celui croisé au début de notre voyage ? Nous virâmes N.W. pour nous en écarter. Cette nouvelle route nous approcha dangereusement de l’archipel des Caïmans où pouvaient se tapir d’autres navires bien plus rapides et redoutables que ce mangeur de grenouille là. Il n’en fut fort heureusement rien.

Nous entrâmes dans le repère de forbans à Caïmans Island vers la mi-Juillet.
Nous vendîmes notre cargaison, hormis les lingots de fer pour lesquels le marchand local n’offrait qu’un prix inférieur à ce que j’avais investi. J’étais prêt à vendre aussi les deux canons de 3 livres armant « Le Glaneur » mais là encore, c’eût été à perte alors même que le marchand reconnaissait un déficit pour des bouches à feu de ce calibre.

Je ne pouvais me permettre de payer les ouvriers du chantier naval pour nettoyer les fonds du dogre. Commença alors une longue période de dur labeur. Nous déverguâmes toutes nos voiles, dégréâmes notre hunier, déposâmes le mât de hune. Nous remorquâmes alors « Le Glaneur » avec notre chaloupe jusqu’à une plage proche du port.

Après avoir construit quelques carbets* pour nous servir d’habitations, nous déchargeâmes tout ce que le dogre contenait et le déposâmes sur la plage. C’est fou ce qu’un navire même de petite taille peut enfermer dans ses flancs en cordage, voiles, vivres poudre, armes, espars. Surtout, le lest – d’énormes pierres - qui à lui seul exigea une vingtaine de voyage de la chaloupe entre le dogre et la grève. Le tout, sauf le lest évidemment, fut recouvert de prélarts* pour être protégé des intempéries. Des aussières furent frappées sur les bas-mât et renvoyées jusqu’à la plage. A leurs extrémités fut assujetti un complexe réseau de câbles, câblots & réas de tout diamètres et de tout types. « Le Glaneur » fut ensuite incliné puis couché précautionneusement sur son flanc bâbord.
Le flanc tribord était maintenant hors d’eau. Nous pûmes gratter pour le nettoyer de toutes les algues et coquillages qui s’y étaient incrustés. Suivit un long travail de calfat. Bourrer d’étoupe les jointures des bordés à l’aide de maillets, faire chauffer le brai pour le couler dans les jointures, recouvrir ensuite la coque de goudron.
Le soir, l’équipage se retrouvait dans les carbets pour dîner et faire la fête. Celle-ci durait cependant peu après de si dures journées et avec la promesse d’une suivante aussi laborieuse.
Quand le travail fut terminé, nous pûmes redresser le dogre, le faire pivoter avec la chaloupe puis le coucher à nouveau sur l’autre flanc. Le travail, identique, donc plus rapide de par sa répétition, reprit pour nettoyer le côté bâbord. Nous jouâmes à nouveau les calfats des jours durant.
Enfin, après presque deux semaines d’ardeur, « Le Glaneur » fut remis à flot. Ne resta qu’à recharger le lest avant de guinder le mât de hune & les vergues, à regréer l’ensemble, et enverguer des voiles neuves où réparées. Après quoi, tout se qui se trouvait sous les prélarts sur la plage, put être rembarqué. C’est remis en parfait état, sous petite voilure, que « Le Glaneur » accosta à nouveau le quai.

· Carbet : structure légère de bois recouverte de palmes où d’un prélart. Les murs, de palmes également, ne montent qu’à mi-hauteur.
· Prélart : lourde bâche en toile épaisse.
· Espar :
- a) Pièces de bois destinées à être taillées où débitées par le charpentier du bord pour remplacer des parties détruites où endommagées du bord.
- b) Vergues et éléments de mât de rechange.
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