Les charpentiers Hollandais d'Aruba battaient la mesure au marteau sur ce qui semblait être un futur moulin à vent.
Lorsqu'il passa à côté du chantier, le capitaine Jean-Firmin Baton semblait mesurer la taille d'un homme normal.
Il arriva devant une battisse devant laquelle couraient en tous sens des valets à lunettes, des nobliaux à perruque et des capitaines burinés.
Il dut se courber pour passer la porte du négociant local, et s'annonça auprès d'un des employés tenant les registres.
L'homme ne releva même pas le nez de son pupitre et opina du chef pour signifier qu'il avait entendu. Sa main droite faisait toujours danser une plume tandis que sa main gauche s'éleva et claqua des doigts.
Un autre employé quitta sa tache et s'adressa au géant à galons.
-Que puis-je pour votre service "capitaine" ?
Le ton du capitaine semblait suspicieux. L'affranchi n'apprécia pas :
-Je cherche des cigares "petit-homme".
-Alors laissez moi vous proposer du tabac de la meilleurs qualité, il a un arôme in...
-Je veux des Havanes. Rien d'autre.
-"Capitaine", vous devez vous douter que nous ne commerçons plus avec les colonies du royaume d'Espagne, je crains fort que...
-"Petit homme", débrouillez vous, je ne veux pas savoir comment, ni pourquoi, fournissez moi ce que je demande et gardez votre camelotes.
Des nez commençaient à se relever furtivement dans le bureau de négoce, et une main se posa sur le bras du géant d'ébène.
-Mon employé vous dit que nous ne pouvons pas vous fournir. Vous vous satisferez de marchandises que la West Indische Company nous fournissent. Si cela ne vous convient pas, je ne vous retient pas.
Le capitaine se retourna, le négociant indiquait du doigt la porte, et était encadré de deux gardes du corps à taches de rousseur, vraissemblablement des jumeaux, main au côté, sur le pommeau d'un sabre.
Il fut raccompagné vers la sortie par ces derniers.
"Chez Pivus", auberge attenante au chantier du moulin, de nombreux capitaines anglais et bataves fêtaient les récentes victoires en mer, tandis que d'autres y tenaient bureau de recrutement ; plume, livre de bord, coffret de piastres, et pils sur la table. Parmi eux, de nombreux confrères Defenders of the Crown, quelques capitaines Anglais dont son jeune protégé De Vitrac.
Le géant se dirigea vers la porte de la réserve où il avait rendez-vous avec un certain "Hermossa" quand une belle serveuse les yeux ronds lui adressa un signe : horizontal du tranchant de la main sur la gorge.
Le capitaine fit mine de s'assoir à la table la plus proche pour ne pas trahir son mouvement. La serveuse vint y poser un petit parchemin plié sur lequel elle posa une chope. Il la retint par le bras :
-Je ne sais pas lire.
-Oh, toutes mes excuses, ce sera un thé comme d'habitude ?
-ça ira, j'aimerais plutôt "avoir de la compagnie".
-Je vous laisse monter à l'étage, la chambre 13 est disponible.
Lorsqu'il toqua à la porte 13, il perçut des chuchotement et le cliquetis d'un mousquet que l'on arme.
-Hermossa ?
La porte s’entrebâilla, un visage de femme au teint cuivré et encadré de nattes lui apparu.
-La mouette est mélomane...
Il sentit un canon appuyer sur son abdomen.
-... et l'hermine louche.
La pétoire fut rangé et la porte s'ouvrit.
Une paillasse ensanglanté, pilons et des décoctions diverses sur une petite console... deux matelots avec des bandages ; l'un avait le bras en écharpe et l'autre avait un cocart violacé qui s'étendait de l’œil à un bon quart du visage.
Le manchot :
-Le capitaine Hermossa a été fait prisonnier par les autorités. Les parages ne sont plus propices à la contrebande depuis que les Anglais sont arrivés. Les Hollandais fermaient les yeux tant que les gouverneurs touchaient leurs part, mais impossible de soudoyer ces foutus homards !
J-FB:
-Son contact m'a pourtant été confié par un capitaine Anglais.
Le borgne :
-Un ancien camarade de mer d'Hermossa, mais pas un Anglais. Un Ecossais ! Ils étaient tous deux sous le commandement du capitaine De Bayar.
Le manchot cracha par terre :
-Alejandro De Bajar ! Avant que ce coquin de Bowmore ne fomente une mutinerie pour récupérer le commandement.
L'affranchi s'assied sur la paillasse :
-De Bayar ? J'ai déjà entendu ce nom quelque part...
L'indienne :
-Les mailles de l'histoire se forment aux croisements complexes des fils des destins.
J-FB
-ça signifie donc que je ne pourrais pas compter sur Hermossa pour qu'il me fournisse mes cigares ?
Le borgne
-Avec Hermossa prisonnier, aucun autre contrebandier ne s'approchera plus du coin. Et depuis les récentes victoires Anglaises et Hollandaises contres les flottes Françaises et Espagnoles, il est de plus en plus risqué de fournir des marchandises aux pays en guerre.
J-FB
-Je suis prêt à vous armer un navire véloce et discret si vous prenez la relève.
Le manchot éclata de rire puis s'étouffa dans une quinte de toux sanglante
-Même pas en rêve ! Dès que je le peux, je m'embarque en clandestin sur n'importe quel navire et je quitte ce coin maudit !
On frappa à la porte...