"Terre, terre!"
Pas trop tôt! Lorsque ces cris se répercutèrent dans les coursives du gaillard d'arrière, bientôt repris par les échos d'une galopade sur le pont, le grand connétable affichant triste mine depuis des semaines retrouva instantanément son beau sourire.
Des jours et des jours qu'il était contraint de rester cloitré dans le carré des officiers, le teint livide, pris de vomissements, isolé du reste de l'équipage, de ces marins crasseux issus de culs de basse fosse. Il n'avait rien à faire ici, à l'autre bout du monde, mais on ne disait pas non aux Rois, on obéissait, un point c'est tout.
Les monarques du vieux continent, agacés de voir leurs militaires et corsaires naviguer à leur guise, et les pirates prospérer, avaient décidé de prendre des mesures sans précédent, en renforçant leur autorité sur les premiers, et en menant la vie dure aux seconds, par l'intermédiaire de représentants officiels. Gauvin de Courtelande avait été nommé grand connétable, avec un rôle de médiateur, juriste et administrateur neutre, mais jouissant des mêmes pouvoirs qu'à la Court of Chivalry anglaise, ou la juridiction du point d'honneur française. Ce qui lui conférait une certaine autorité sur les ambassadeurs, en la personne de Alaric Du Dresnay, français, Sir Chris Gascoigne, anglais, Bernardo Vidal y Aragon, espagnol, et Paulus Von Brugen, hollandais. Ces derniers devraient arriver sous peu chacun de leur côté, dans des navires de guerre, pour occuper leurs fonctions dans leurs cités respectives.....
"Francis, un verre de mon meilleur cognac. Fêtons notre arrivée dignement!"
"Monsieur...merci, c'est un honneur de gouter ce bandwijn de la maison Godet"
Alors que son assistant sortait deux verres pour leur servir le fameux vin brulé, le connétable relit quelques notes sur son bureau, puis déclara:
"Francis, donnez moi donc votre avis, je suis curieux de l'entendre."
"A quel sujet monsieur?"
"Pardonnez moi....sur les premières mesures requises contre les pirates."
"Et bien je crois que les Rois ont bien fait de renforcer leur autorité dans les indes occidentales sur les militaires et les corsaires. ils étaient un brin trop indépendants. Mais ces idées saugrenues de liberté sont tel le chiendent, nous devons les éradiquer avant qu'il ne soit trop tard, si je puis me permettre....sans oublier que ce sont que de sales bandits méritant la corde."
"Je suis d'accord avec vous, mais je reste sceptique quant à l' efficacité de nos mesures. Vincenzo Doria ou Piotr Curtiss ont eu beau mal finir, leurs séides sont toujours présents, et l'Opération Mer Propre eut un succès finalement si mitigé...."
"C'est vrai, vous avez raison, comme ces fichus Marchombres.... mais si l'on ne fait rien......"
".....c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres.....à la vôtre Francis!"
"Santé!"
Les deux hommes trinquèrent bruyamment avec le sourire, et burent cul sec avant que l'assistant ne les resservit:
"Chaque nation a juré de leur offrir la rédemption un temps. Les plus cupides d'entre eux se verront offrir une belle carotte à laquelle ils ne résisteront pas, je l'espère. Je n'en connais pas les modalités exactes, évidemment chaque nation va vouloir attirer les meilleurs d'entre eux chez elle pour tirer son épingle du jeu."
"Ces amnisties sont une bonne idée certes, mais ensuite qu'arrivera t il?"
"Ces rats vont être prévenus à l'avance. S'ils n'acceptent pas la carotte, nous leur offrirons de force le bâton. Leurs têtes seront mises à prix avec des sommes plus élevées, nous pourchasserons les marchands qui font affaire avec eux pour les appauvrir, et nous éliminerons leurs repaires. Les Rois ont décidé de leur mener la vie dure, nous allons les réduire à redevenir des traine savate."
"Parfait....et après?"
"Après, j'imagine que chacun pourra recommencer à en découdre comme de coutume. Mais..... m'est avis que pas mal de choses vont changer."
"Vraiment?"
"Oui, j'en suis persuadé...."