Le Palais du Connétable

Le connétable attablé à son bureau comme une arapède, occupé à griffonner quelque barbante paperasse, fut interrompu par l'arrivée de son secrétaire Francis:

"A la bonne heure Francis! Vous me sauvez de cette routine si oppressante. Alors, quelles sont les nouvelles de nôtre opération? Ayez pitié de ma morosité ambiante, dites-moi que vous en avez!"

"Certes oui Sir, j'ai mille et une choses à vous confier, mettez-vous à l'aise....."

"Vraiment?"

Gauvin leva le nez de son parchemin, déposa sa plume, et le toisa avec un grand sourire, l’œil étincelant d'intérêt.

"Je vous en prie asseyez-vous, et dites-moi tout"

"Et bien, les ambassadeurs Français et Espagnols sont restés bien sagement au port, néanmoins, Gascoigne et Von Brugen ont eu quelques accrochages avec les pirates vers Saba."

"Voyez vous ça, c'est parti à la claque?"

"Voui, Godefroy a reçu des salves d'avertissement alors qu'il croisait au large....mais il a été épargné. Le grand chebec de Drosera planqué non loin a répliqué sauvagement, aidé dans la foulée par Bertrick and co."

"Il y a eu de la casse?"

"Les ambassadeurs ont fini par faire une sortie, et le Chien Rouge du capitaine Spriggs a été abordé. J'ai pu intercepter le contenu de quelques unes de leurs missives....la confrérie du jolly roger n'a pas apprécié ce petit bois, ils ont laissé entendre dire qu'ils souhaitaient redevenir corsaires, mais que cet épisode leur en avait passé l'envie."

"C'est compréhensible....on ne tire pas sur un amnistié."

"L'ennui Sir c'est qu'ils n'ont prévenu qu'après avoir fait feu."

"La bonne blague! Pas des as pour communiquer ces bougres..... mais peut être qu'ils ne savent pas lire ou écrire?"

"J'en doute Sir. Mais ce n'est pas tout....il reste encore quelques jours avant la date butoir de l'amnistie."

"Et?..."

"Et seul un pays tire son épingle du jeu. La Hollande....pas moins de sept capitaines vont rejoindre ses rangs. Il y a là Lady Dragon, Henry Death, Erlick Thorns, Horacio Albero, Michel Lestrub, Diego le Mulâtre, et Pol de Viliers."

"Tous Hollandais? Quelle cupidité!"

"Je vous le fais pas dire Sir."

"Voilà qui va quelque peu changer la donne, et c'est pas plus mal. Espérons qu'ils se regroupent sous un même emblème. Bien, admirable tout celà...j'ai hâte qu'ils commencent à en découdre pour compter les points Francis, j'avoue......et merci vous pouvez disposer!"

"Sir, vous devez savoir aussi que nous avons mis la pression sur les armateurs indépendants dans les repaires pirates. La plupart sont apeurés par ces dernières nouvelles menaçant leur petit commerce. Ils font déjà de moindres profits depuis peu avec la difficulté de s'approvisionner, et je pense qu'ils ne sont plus à même de fabriquer des chebecs et grands chebecs dans leurs chantiers navals. Désormais même, les meilleurs navires ne seront plus disponibles nimporte où pour les pirates...."

"Francis?"

"Oui Sir, servez nous donc un peu de cognac, nous pouvons déjà savourer cette semi victoire."

Le connétable remit sa paperasse en ordre. La période d'amnistie venait de prendre fin....seuls les officiers généreusement affrétés par les nations n'étaient pas encore arrivés à bon port, mais pas moins de dix capitaines pirates avaient retourné leur veste.

Gauvin de Courtelande éplucha les noms une dernière fois, cachetant la cire de son sceau. La grande gagnante était la Hollande, qui raflait la mise, avec l'arrivée dans ses rangs de sept capitaines:

-Horacio Albero
-Diego le Mulâtre
-Erlick Thorns
-Lady Dragon
-Henry Death
-Michel Lestrub
-Pol de Viliers

L'Angleterre quant à elle se voyait accueillir dans ses rangs trois capitaines:

-Auditore
-De Grandmont
-Pat London

Pour l'Espagne et la France......rien à se mettre sous la dent. Pour le lys rien d'étonnant, pour son alliée, l'échec s'avérait cuisant....

"Francis!?"

Le secrétaire fit son entrée derechef:

"Envoyez moi tous ces papiers aux quatre coins des caraïbes pour rendre officielles ces amnisties dans les différents ports.

Oh! Vous pouvez prévenir nos chers ambassadeurs que la chasse aux forbans est ouverte. m'est avis que ça va saigner...."

Penché sur son bureau, Gauvin venait de lire le dernier pli des souverains d'Europe. Lui même aurait souhaité disposer des pleins pouvoirs pour reprendre les anciens termes de l'opération mer propre, qui avait conduit à une alliance de circonstance entre les nations.
Pourtant il n'en serait rien....car ils n'avaient pas réussit à se mettre d'accord. Trempant sa plume dans l'encrier, il commença à griffonner ce qui serait bientôt envoyé dans chaque port:

Capitaines de toutes les nations,

les souverains d'Europe n'ont pas réussit à se mettre d'accord sur les termes d'une alliance de circonstance entre nations pour bouter les pirates hors des Caraïbes comme je l'espérais. Néanmoins, ces derniers m'ont laissé carte blanche....

Aussi, je vous encourage tout de même à faire cette trêve entre nations le temps de la chasse, même si celle ci n'a rien d'officiel. Si jamais elle n'était pas respectée, soyez surs et certains que vos actions ne resteront pas sans conséquence, risquant de chambouler les alliances et guerres actuelles, d'autant que la situation politique semble instable en Europe.

Je fais donc appel à vôtre bon sens. Lorsque la chasse sera terminée, je convoquerai un grand conseil pour en discuter, où chaque nation pourra défendre ses intérêts. Seront convoqués les ambassadeurs, mais aussi tous les capitaines qui le souhaiteraient.

Sire Gauvin de Courtelande, Grand Connétable

"Sire, vous êtes malin, voilà qui devrait susciter le doute parmi les borgnes!"

"N'est ce pas Francis?! Hahahaha je m'aime......bon prenez une plume, et notez moi ceci...."

Son secrétaire attablé obéit, et attendit la dictée de son supérieur:

"Moi Sire Gauvin de Courtelande, Grand Connétable des Caraïbes,

encourage les capitaines pirates qui auraient refusé l'amnistie, mais qui veulent tout de même remplir leurs bourses, à jouer les dissidents agents doubles en devenant des espions à mon service et celui des ambassadeurs des nations.

Vous serez payés en échange de renseignements sur les positions et manœuvres des pirates.

Pour ce faire et de plus amples informations, prière de me contacter, ainsi que les ambassadeurs.

Bien à vous"

Le secrétaire sourit en relevant la tête:

"C'est parfait sire, je fais transmettre à tous les noirauds. Au pire si personne ne se manifeste, ça jettera le doute parmi eux."

Comme votre titre l'indique, allez donc vous occuper de vos étables, régnez en maître sur le purin et les mignons écuyers. Le premier des officiers d'une couronne ne peut s'élever au-dessus de son Roi sans faire injure à la loi de Dieu. Notre Grand Roi Louis XIV se meurt, il serait crime de lèse-majesté de vous penser debout plus grand que lui, allongé par la misère de sa jambe gangrénée.
"Nec pluribus impar" est sa devise et votre faible flamme ne peut faire de l'ombre au Soleil, même à son crépuscule. je ne sais cette mode nouvelle de la "carte blanche", je m'en tiens au blanc seing de nos usages, et le Soleil ne saurait vous avoir délivrer rien de tel sans en avoir informé ses ambassadeurs.
Gardez vos menaces pour les juments, cessez de traiter les ambassadeurs à l'égal des capitaines et retrouvez donc tout votre bon sens. Nous parlerons alors au grand conseil, avec la légitimitė de nos rois et non sous la houlette suffisante d'un commis qui présage mal de l'Europe de demain.
En conséquence nous ne changerons pas notre politique et maintiendrons les alliances en l'état, et ne vous méprenez pas nous sommes toujours à la poursuite des pirates.

Jeanne Barthes
Ambassadeur de France des FDLC, humble et dévoué serviteur du grand Roi Louis XIV

"La garce! Comment ose t elle me parler?! Si elle était devant moi je lui ferai donner le fouet pour une telle impudence!"

"Calmez vous monsieur....je vous en prie"

Depuis quelques minutes qu'il avait lu le billet, le grand connétable était entré dans une colère noire, et faisait les cent pas....

"Défier mon autorité sur ce ton! Mmmmmmm....pour qui se prend elle?"

Soudain, le nobliau s'arrêta face au balcon, et s'écria:

"Je sais, je vais demander à du Fresnay de la faire rentrer dans le rang"

Aux premières heures de l'après-midi, un page se présenta devant le bureau du Connétable et remit un pli grossier aux mains du capitaine de la garde.

-"Capitaine, un gamin des rues a remit ceci aux lanciers de faction, j'ai cru bon de venir vous trouver, un morceau d'étoffe noire y était joint, et vous savez que les pirates ne tiennent pas monsieur le Connétable dans leur cœur."


-"Tu fais bien, Jean-Baptiste, répondit le capitaine, il ne faut rien laisser au hasard avec cette racaille, même s'il s'agit probablement encore d'une lettre de menace, il en tombe comme la vérole sur le bas-clergé en ce moment. Voyons cela... Oh bon sang !"


A peine son cri de colère terminé qu'il se rua dans le bureau et claqua la porte dans le visage du page qui avait naïvement cru être invité. Sans perdre un instant le capitaine s'approcha du bureau du Connétable, salua sèchement et lui tendit la feuille dépliée :



"Le sieur Gascoigne est tombé entre nos mains. Il vous sera restitué vivant et presque intact contre rançon. D'autres instructions suivront. Le roi d'Angleterre n'aimerait pas que l'on massacre publiquement ses ambassadeurs, ni apprendre que le Connétable les laisse se faire exécuter.

Des pirates."

Les mains du Connétable se serraient autour du parchemin crasseux au point qu' il ne devint bientôt plus qu' une misérable boulette qu' il jeta violemment à terre .

Le Connétable ne cachait pas un certain agacement...

" Très bien, Capitaine... Convoquez les Ambassadeurs dans les plus brefs délais.
Ammenez-moi ces incapables au plus vite. Faites venir le scribouillard aussi...et doublez la garde."


Il marqua un silence et un petit rictus se dessina sur son visage.

" Attendre des instructions, ils ne manquent pas de culot...HAHAHA..."


Le rictus s' était transformé en un rire franc, aussi bref que méprisant.

"Executez mes ordres Capitaine, sans perdre une minute !"

Vêtu d'un costume de la dernière mode de Paris, Armand Pipelet se présente au palais du conetable. Son débit est assez rapide :

-On m'a fait parvenir d'affreuses nouvelles concernant sir de Gascoigne. On parle de barbares amateurs de viande humaine, de torture insoutenable, de pratiques sado masochistes... vous me confirmez le scoop ? On murmure dans tous les boudoirs que votre plan anti piraterie n'a fait que rassembler les pirates, ressouder les plus en froid et motivé les plus couards d'entre eux ! Qu'avez vous a répondre face à une telle débandade, un échec si cuisant, une pareille chianlie ?

C' était maintenant sa propre tête que ses mains entouraient.... Le Connétable semblait soudain abattu.
Sans doute l' arrivée de "Monsieur Sensationnel", comme il aimait à l' appeler lors des diners entre gens avertis, n' y était pas pour rien.

Quoiqu' issus tous eux de la Haute Bourgeoisie, Le Connétable ne reconnaissait en rien les qualités de gentilhomme de Monsieur Pipelet. A ses yeux, il n' était qu' un pantin, un jeune arriviste, se nourrissant de ragots et de folles histoires...Objectivement, leur ego démesuré, propre à chacun suffisait à lui même pour expliquer la "haine gentille" qu' ils partageaient l' un pour l' autre.

"Monsieur Pipelet !!! Quel plaisir de vous voir !!! lui désignant une chaise devant son bureau...

"A l' affut de la moindre rumeur, comme toujours ! Sachez, mon ami, que pour une fois vos informations sont bonnes !!!Mais toujours fidèle à vous même..."Débâcle...Echec...Vous restez dans l' exagération alors que les choses ne sont pas si dramatiques ! Gardons raison, voulez-vous ?!!!
Les pirates... ces bandits... Ils osent nous défier à nouveau ? Rassemblés ? En êtes-vous bien sûr ?...."

Il parti à nouveau dans un éclat de rire

"Monsieur Pipelet, restez assis et ouvrez bien grandes vos oreilles...."

Le Pipelet epoussette ses rubans, et prend soin de ne pas faire de faux plis avant de s'assoir à la place pointée par le connetable.

Il se racle un peu la gorge, pose sur une tablette un parchemin. Arrache une des plumes de son chapeau. Il tend la main gauche et présente une grosse bague ornée d'un rubis qu'il ouvre pour révéler un petit encrier .

-et bien je vous écoute. Dites moi en quoi ces pirates ne vous tiennent pas par... la menace d'execution d'un sujet de sa majesté le roi George, qui plus est un lord ! Je me demande même si il ne se serait pas laissé capturer juste pour tâter des menaces de de fouet promulguées par la capitaine Drosera !

Il croise les jambes :

-comment diantre avez vous pu placer votre confiance - ainsi qu'un navire d'une valeur de plus d'un million de piastres - dans les mains d' un libertin !

Au Palais, on avait bien compris le truc. Les ordres du capitaine des gardes étaient clairs : ne laisser passer aucun gamin des rues porteur d'une lettre à ruban noir sans le faire suivre par un excellent limier. Plusieurs hommes sûrs en faction observaient les aller et venus devant le palais, prêts à bondir.
Ce jour-là seul un page d'élégante stature était venu jusqu'alors, il repartait déjà, quand Jean-Baptiste, ce brave page du Connétable, se rua dehors en hurlant "arrêtez cet homme" et d'autres choses comme ça, mais le page était déjà loin, car bien sûr dans sa grande enveloppe rose, parfumée et sertie d'une belle marque de rouge à lèvre à l'adresse du Connétable, il y avait un vieux bout de papier entouré d'un ruban noir et.. un doigt de pied.


Message et contenu étaient étalés sur le bureau de Son Excellence, et on pouvait y lire ceci :


"Le sieur Gascoigne vous sera rendu en échange de deux grands chebecs et une frégate de neuf, armés pour la guerre, chargés d'autant de canons de 6 livres qu'il est possible d'en mettre, ainsi qu'un demi-million de piastres. Ils escorteront en outre une flûte chargée de pierre de taille et de bois de charpente jusqu'au point qui vous sera indiqué ultérieurement. Après vérification de la rançon le sieur Gascoigne embarquera sur la flûte pour la destination qui lui plaira. Il répondra de sa personne pour tout imprévu.


Des pirates."

Le "paquet" posé sur le bureau luxueux du connétable semble intéresser fortement le journaleux.

Il feint d'abord d'ignorer la lettre, puis jette des coups d'oeils furtifs vers le pli, puis tourne la tête...
et finit par se lever de son siège,
bientôt il plaque les mains sur le bord de la table,
son cou se tend et se tord pour mieux lire les phrases à l'envers.
Il plisse les yeux, tire la langue et grimace pour mieux déchiffrer les pâtes de mouches couchées sur le papier quand...