Le soleil se couche au milieu d'une marée de voiles sombres. Ça et là, flottant entre les coques, des débris de bois et de voiles tachés de sang et de poudre brûlent comme autant de cierges dans une église.
La messe est dite pour la fregate Castromarigo du Magnifico solitaire. Le capitaine Luis Espatula, pirate et gourmet, y hisse les couleurs rouge sang de sa confrérie.
Repliant sa longue vue, le capitaine Baton prend à partie son "invité".
-Voila deux ans, nous vous perdions en mer dans ces mêmes eaux M'sieur Curtiss.
Vêtu d'une simple chemise de coton blanc, d'une culotte noire et de hautes bottes, le seul blanc à bord rit avant de répondre au capitaine neg'marron bardé de breloques en tout genre.
-Et vous perdiez dans le même temps le Jolly-Roger et votre liberté chérie !
Pour toute repartie, le capitaine grogne et pose sa main sur la crosse d'un mousquet.
-Je vous jetterais bien par la planche mais qui sait où vous iriez jouer les diables cette fois-ci ?
Un croassement se fait entendre sur le bastinguage. Perché derierre eux, un corbeau les toise en tendant une patte. Jean-Firmin détache le pli et le tend à Piotr qui le lit pour lui même.
-Votre gars a trouvé ce qu'on cherchait. Vous avez bien fait de l'envoyer à bord du Gaspacho !
Il rit à nouveau avant de poursuivre :
-Cherchez des écrevisses et vous trouverez des grenouilles ! Attrapez un loup et vous aurez la piste aux écrevisses !
-Vous pouvez être plus clair ?
-Votre ami infiltré à bord du Gaspacho après la bataille contre les Frères de la Côte...
-Oui ?
-Et bien il s'est glissé dans la cabine de Francisco à la faveur de l'abordage.
-Et... ?
-Et il a trouvé des missives intéressantes venant d'autres capitaines espagnols !
-Ah ?
-Oui ! Mais c'est la que c'est drôle ! On pensait trouver des espagnols venus de Florida Key au Nord de Tortuga, pendant que les FDLC lechent leurs plaies à Port Margot.
-Ça je le sais, c'etait votre... MON plan.
-Et finalement c'est du Sud qu'est arrivé un loup de mer sanguinaire...
-Ou voulez vous en venir ?
-Nul part ! Mais on sait maintenant ou chassent les Anglais !
-Ou ça ?
-Ecoutez donc, c'est une missive qui vient d'un autre navire espagnol en détresse. Un certain Erwan. Il signale qu'il tente de semer une "flota Angles"
-C'est un vrai sac de noeuds !
-C'est vous le noeud ! Les Anglais sont du côté de Caracas ! Vos infos sur Cockburn sont faisandees ! Les Anglais détestent Cockburn ! Ils la fuient comme la peste !
Une main colossale vient s'abattre sur le visage de Piotr avec un grand claquement. Piotr crache par terre et Jean-Firmin lui arrache la lettre.
-Enfermez le dans la cabine ! J'en ai assez entendu comme ça !
Riant comme une baleine, Piotr se laisse traîner hors du pont par deux matelots. Le capitaine préfère tourner le dos à la scène et admirer d'un oeil vexé la mer à feu et à sang.