Au nord du Cap Maizy, la pinque heurta un lourd tronc de palmier à demi coulé, la frappant à hauteur du grand mât avec un choc qui l'arrêta presque. Trois galhaubans cédèrent mais les mâts tinrent bon & le tronc passa sous la coque manquant le safran du gouvernail de moins d'une demi verge (48 cm). Sous le choc, plusieurs gabiers qui suifaient les vergues & les manœuvres dormantes du mât de misaine sont tombés.
L'un s'est écrasé sur le gaillard d'avant se brisant les reins sur la lisse du coltis, les deux autres sont tombés par dessus bord. Les hommes de quart ont jeté tout ce qu'ils trouvaient sous leurs mains, deux fauberts, un sceau en bois, la baille à mèche de la pièce de chasse & une glène de cordage.
Lamarque qui était de quart a repris son monde en main à grands coups de gueule au porte-voix & un second maître l'y a aidé de quelques coups de garcette sur les dos.
Il a aussitôt fait choquer partout boulines & écoutes & brasser à contre misaine & petit hunier pour empanner. Le temps de rappeler sur sa bosse le canot en remorque, que quelques hommes y embarquent prestement sous les ordres du quartier maître Ripeau, les malheureux avaient disparu sous les eaux.
Reyne de Saba est entrée dans les sondes du Grand Banc au nord-est des Cayes du Nord. La pinque exhale un fumet sur plusieurs milles malgré le lavage quotidien de la cale à grande eau. A chaque prise du quart de jour (4 h) on arme l'archi-pompe. Les godets, au grand dam des hommes hors quart – les terriens - sont souvent bloqués par de la paille souillée. Plus encore pour Hippolyte le charpentier & ses aides qui doivent démonter chaque fois pour réparer.
La pinque Reyne de Saba fait escale au comptoir d'Andross & y livre son odorante & bruyante cargaison pour la plus grande satisfaction de tous à bord.
François décide d'établir sa croisière au large de La Havane. Las, les gardes costes & autres chasse-marées y sont très actifs & fort suspicieux.
Cap à l'est par l'Ancien Canal de Bahama entre les Isles dîtes Des Jardins du Roy & la Basse de Saint Nicolas.
Vers la mi-Février, à l'ouest de l'Isle Macarey, sur une route maritime très fréquentée où Reyne de Saba croise en maraude, elle est prise en chasse par deux chebecs pirates. Aucune chance d'échapper. L'un d'eux, après cinq bordées meurtrières de précision, l'aborde & la prend.
François & une douzaine de survivants sont abandonnés sur la chaloupe mais, parvenu à moins d'un quart d'encablure les scélérats ouvrent le feu au canon sur l'embarcation. Celle-ci a été disloquée au second boulet.
François est sauf. Il a été projeté en l'air quand l'avant de la chaloupe a été fracassé.
Il reprend ses esprits pour découvrir qu'il s'est accroché, bien qu'inconscient, au mâtereau de la chaloupe qui n'avait pas été guindé. A une vingtaine de brasses (environ 30 m) Anselme Dervieux vit encore mais ce dernier, accroché à quelques débris flottants, a la cuisse gauche traversée par le tronçon d'une rame. Le sang attire rapidement plusieurs requins. D'où il est, François voit le capitaine d'arme brusquement soulevé plus qu'à mi-corps, le bras gauche déjà arraché à l'épaule & propulsé plus loin à une vitesse étonnante. La course fantastique a éloigné de François de près de dix perches (70 m) l'horrible festin & comme lui-même n'a aucune blessure saignante, les monstres le délaissent.