Il déverrouille les lourdes chaines au sol qui maintiennent les esclaves les uns aux autres. Il pousse de sa matraque les plus proches vers la sortie :
-Sur le pont sale animal ! J'vais vous secouer moi !
En surface, d'autres blancs armés de matraques les acculent vers une énorme bobine à bras. Un autre homme est juché sur celle-ci, armé d'un fouet cette fois.
On le place entre deux bras et on lui entrave les main à la barre devant lui.
Ne pouvant pencher sa tête en arrière à cause se cette chaine trop courte et de son corps trop grand, il fait de son mieux pour happer la pluie. Il ouvre grand la bouche. Les gouttelettes sont des petits cailloux qui viennent s'écraser sur sa langue crevassée.
Le fouet claque, son dos s'arrondit et il pousse. La corde se tend, la roue se stoppe, il s'écrase de toutes ses force sur le bras de bois en vain. Le fouet claque à nouveau, et l'homme vocifère des noms d'oiseaux aux sonorités âpres.
La corde vibre, la roue tourne doucement.
à la lueur d'un éclair, il s'aperçoit qu'elle monte vers une poulie, au bout d'un grand bras de bois surgis du mat, avant de plonger vers les entrailles du navire dont on a ouvert le pont en grand.
Il voit alors un autre mat plus loin, là ou habituellement il n'y a que l'horizon, et la grande étendue d'eau. Le navire est accolé à un autre.
Il voit la corde vibrer à chaque tour de roue, il voit monter un filet empli de tonneaux dans une ascension saccadé par chaque tour de roue.
Un homme à matraque enclenche un frein de bois, lui et ses semblables peuvent relâcher l'effort.
Les marins semblent de plus en plus tendus. L'attente le fait greloter dans son seul pagne.
Le filet est poussé à l'aide d'une gaffe et le bras se mets à pivoter vers le pont de l'autre navire. Il ne sent plus le fouet lui piquer les côte, mais son claquement le fait sursauter.
-Doucement, retenez la roue et reculez doucement.
Le frein est retiré.
Ils poussent tous des gémissements d'effort, sa mâchoire est douloureuse tant il serre les dents. Le pont est glissant, son camarade de devant trébuche ; il sent la roue le pousser plus fort en arrière. L'esclave devant lui hérite d'un coup de matraque dans les côtes pour qu'il se relève, pour qu'il pousse, pour qu'il tienne bon. Ils gagnent tous un autre coup de fouet en guise de revigorant. Il ne sent plus le froid. Il n'y pense plus. Il pense à ce bras de fer avec cette barre de bois devant son visage de chair qui ne manquera pas de les tuer si ils flanchent.