Florida Keys.
Esperanzo se tenait au bastingage. Après s'être donné une contenance, il prit une profonde inspiration et descendit vers le repaire putride des pirates. Ses hommes restaient tous à bord du navire, si apeurés qu'aucun ne prendrait sans doute de bon temps sur place.
Sans doute cela n'était-il pas plus mal, leur capitaine avait prévenu son monde que si quelqu'un s'avisait de ramener une maladie honteuse à bord, il finirait le voyage à la nage.
La grande expérience du capitaine lui permit rapidement de se frayer un chemin à travers les tavernes pour trouver l'homme qui l'intéressait.
Il esquiva un homme trop aviné pour marcher droit, puis en fit s'effondrer un autre afin de ramasser sa chaise. Il reposa celle-ci à l'extrémité d'une table. À l'autre bout se tenait un homme au chapeau démesurément grand et au verre désespérément vide.
<< Bonsoir capitaine ! C'est un plaisir de vous voir. Permettez moi de vous offrir cette bouteille de Tequila en provenance directe du Mexique. L'homme regarda son verre se remplir sans se départir d'un œil torve.
- Qui es-tu l'espagnol ?
- Je suis le capitaine Esperanzo Miguel Carvagio de Carvagio. Mais seul mon premier nom t'intéresse amigo, car c'est ce que je représente pour toi.
- J'ai l'air d'avoir besoin de quelque chose ?
- D'après ce qu'on m'a dit, tes marchandises n'auraient pas trouvées preneur. Il est malheureux que les commerçants n'aient plus grand chose à faire des biens que vous leur rapportez par chargement entiers, tout cela parce que leurs entrepôts en sont déjà pleins.
- Où veux-tu en venir, l'espagnol ?
- C'est très simple en fait. Je viens pour négocier un arrangement mutuellement profitable. Comme vous l'avez remarqué capitaine, je suis espagnole. Or, je suis ici pour faire du commerce, et pas pour me faire détrousser. De votre côté, vous êtes un pirate, et vous avez besoin de vendre vos prises.
- Tu veux racheter ma dernière prise ?
- Je veux beaucoup plus que cela mon cher. De mon côté, je m'assure que vous puissiez écouler vos prises ; du votre, vous vous assurez que ma navigation en ces eaux se fera sans subir d'acte de piraterie.
- Si vous trimballez ce qu'on ne peut pas écouler en même temps, on ne va pas s'emmerder avec vous !
- C'est exactement cela cher ami. Mais j'ai d'autres sujets plus importants. Vous avez combattu pour l'Angleterre pendant des années, capitaine William, contre les ennemis de celle-ci. Aujourd'hui, après vous avoir abandonné, après avoir oublié des années de bons et loyaux services, après vous avoir renié, la voilà, cette fieffée Angleterre, qui s'allie avec ceux que vous affrontiez en son nom afin de vous traquer et de vous faire pendre à un arbre.
- Je les attends de pieds ferme ! Foi d'moi, l'abattrai comme un chien le premier bâtard de vendu qui essaiera de m'avoir !
- Je n'en attends pas moins de vous. Voyez vous, mon honneur m'interdit de m'attaquer à eux du fait de la trêve officiellement déclarée, mais vous n'avez vous-même nulle raison de respecter cette trêve. Je vous fournirai les itinéraires des routes commerciales anglaises et hollandaises que je connais, et je ne transmettrai bien sûr à personne où vous vous trouvez.
- Et pourquoi tu ferais tout ça pour moi mon gars ? Il est où le piège ?
- Allons, vous voyez bien que je suis seul et sans mon équipage. Moi, marchand espagnole au sein d'un repaire pirate reconnu. Outre la tranquillité de mon commerce, j'attends de vous d'éliminer mes concurrents et ennemis.
- A vous entendre, je devrais devenir corsaire espingouin !
- Surtout pas, vous n'auriez plus le droit de frapper de votre sabre les anglais et leurs protégés hollandais. Il y a beau y avoir une trêve, les hollandais resteront toujours des rebelles et les anglais leurs détestables protecteurs. Je veux les voir tomber sous vos coups. Et lorsque, très malheureusement, la famine vous poussera à attaquer un marchand espagnole, ne tuez ni l'équipage ni le capitaine. Faites les prisonniers, et je me ferai une joie de les ramener moi-même à leurs familles. Vous, vous prospèrerez et pourrez continuer à vivre pleinement votre vie ici, pendant que je serai un héros pour l'Espagne et son peuple.
- Ta proposition commence à me plaire l'Esperanzo !
- Alors trinquons, et que les tonneaux de cette Tequila qui emplissent ma cale scellent notre accord ! >>
Les deux capitaines trinquèrent sous le regard approbateur de l'équipage du pirate.