Bertrick livrait à vil prix le fruit de ses rapines au bonhomme, gain qu’il partageait avec son équipage. Cependant, à l’insu de ceux-ci, il était convenu d’un pourcentage sur les bénéfices de la revente des cargaisons.
Le gros homme blêmit en reconnaissant son visiteur. Il se repris mais son double menton, ses bajoues et son cou goitreux tremblotaient & il se mit à transpirer d’abondance.
- Ho ! capitaine Bertrick ! Je suis fort aise de vous voir. Asseyez-vous donc. Que puis-je pour votre service ? Mais prenez place dans ce fauteuil, je vous prie.
Le négociant se frappa le front du plat de la main.
- Veuillez m’excuser capitaine, il me vient soudain à l’esprit une affaire qui ne souffre aucun délai. Il s’extirpa de son siège, esquissa une courbette maladroite.
- Servez-vous un verre de vin, la carafe est là sur la desserte. Le temps de donner quelques ordres … je ne serai absent qu’un instant.
Il quitta la pièce précipitamment.
Bertrick se leva, saisit la carafe et un verre. Il s’approcha de la porte que l’autre dans son trouble n’avait pas refermé. Il l’écarta légèrement de la pointe du pied.
De l’autre côté était un entrepôt. Le négociant parlait avec volubilité & force gestes à son commis, lequel acquiesçait en jetant subrepticement quelques regards inquiets vers la porte. Bertrick se rejeta en arrière pour n’être point vu.
Ce faquin veut me trahir.
Il vérifia que la lame suiffée de son épée glissait bien dans son fourreau. Il revint à la desserte, se servit du vin et bu à petites lampées, l’air nonchalant.
- Voilà qui est fait » dit le bonhomme à son retour. Son trouble était plus évident encore.
Bertrick s’accouda à la desserte comme à vouloir garder la carafe de vin à portée de main. Ostensiblement, il se servit à nouveau.
De cette place, il avait vue sur la rue par la fenêtre. Il vit le commis courir à toutes jambes et disparaître à l’autre bout.
- Ce vin de Porto est parfait … Mais venons en à l’objet de ma présence.
- Ho oui bien sûr ! Vous venez chercher votre part.
Une agitation au bout de la rue à un demi furlong (100m) Une patrouille ! Le sergent qui la commandait mit sabre au clair, les huit soldats firent glisser les mousquets de leurs épaules et mirent l’arme au poing. Ils s’avancèrent prudemment.
Vif comme l’éclair, Bertrick dégaine, bondit sur le négociant, lui saisit la gorge de sa main libre. Une poigne de fer.
- Tu m’a dénoncé fils de chien !
- Pitié capitaine Bertrick ! Le grand connétable et les ambassadeurs sont impitoyables. Ils confisqueraient mes navires, mon commerce, ils s’en prendraient à ma famille même ! … et je finirai dans un cul-de-basse-fosse de la citadelle.
Bertrick, de la garde enveloppante de son épée, lui asséne un formidable coup à la tempe. Le marchand s’affaisse.
L’entrepôt. Un coup d’œil circulaire … il avise une étagère qui croule sous les rouleaux de soies et de satin. Il tire d’une de ses poches son briquet à amadou. Il bat le briquet, souffle sur la mèche puis glisse le briquet parmi les rouleaux de tissus.
Retour au bureau en courant. Sortir par la porte du fond, par laquelle il était arrivé. la ruelle. Courir dans la direction opposée à la grand rue. Une autre ruelle, une autre encore. La basse ville, un vrai labyrinthe de ruelles de plus en plus étroites et fangeuses.
L’entrée d’un bouge, là juste devant, à vingt yards.
Bertrick a encore son épée à la main. Il la remet au fourreau, passe le baudrier par dessus tête, enroule le cuir autour du fourreau et maintient l’ensemble le long du corps. Il reprend son calme en se dirige vers l’entré du cabaret.
Il pousse la porte, entre en baissant la tête pour éviter de se cogner au linteau. La salle est sombre.
Regard circulaire. A une table en retrait, un ivrogne cuve, la tête posée sur ses bras repliés.
Bertrick s’en approche, pose son épée sur la table, retire son tricorne qu’il dispose de guingois sur le crâne de l’endormi. Il s’empare du chapeau rond à large bord posé sur un coin de la table, du gobelet aussi. Un autre regard circulaire, les quelques buveurs présents ne semblent pas avoir pris garde à son manège.
Il avise une table presque plongée dans l’obscurité du fond de la salle. Elle est occupée. Justement ce qu’il lui faut.
Il va s’y asseoir, face à l’homme attablé là. Drôle de type avec son vieux mousquet d’un autre temps.
- C’est moi qui offre la prochaine bouteille compagnon » dit Bertrick en cognant sa timbale contre celle posée devant … l’inconnu ?